
Le «Living Lab» de Bienne est, dans l’espace germanophone du pays, un laboratoire unique en son genre, qui reproduit toutes les composantes essentielles du système de santé: un hôpital avec salle d’opération et unité de soins intensifs, un cabinet de physiothérapie et un cabinet de médecin de famille, une pharmacie et des prestations de télémédecine. Sans oublier les secteurs gestion du domaine de la santé et flux de marchandises. Au centre se trouve aussi le logement du couple fictif Brönnimann, équipé pour les personnes âgées, qui comprend de vrais livres d’Agatha Christie, un bouquet de fleurs sur l’étagère et même un chat. «Par ce décor, nous voulons éveiller un sentiment d’empathie chez les étudiant-e-s», explique Michael Lehmann, professeur d’informatique médicale et cofondateur du laboratoire. «Nous n’attendons pas d’eux qu’ils créent des innovations de haute technicité, mais qu’ils comprennent les besoins d’Elisabeth et de Kurt Brönnimann et qu’ils trouvent des solutions pour améliorer le quotidien des personnes en situation réelle.» Elisabeth et Kurt Brönnimann existent bel et bien. Ce sont des acteurs amateurs de Bienne âgés de plus de 80 ans. Dans la vraie vie, ils portent d’autres noms. Dans le Living Lab, les deux seniors ont une anamnèse fictive.
Un sol sensitif

«Prenons par exemple une opération de la hanche chez Elisabeth Brönnimann», explique Michael Lehmann. «Comment la numérisation peut-elle accélérer le retour à domicile d’Elisabeth, âgée de plus de 80 ans, auprès de son mari qui souffre d’une légère démence?» En compagnie de ses quelque 40 étudiant-e-s par année académique, le Prof. Lehmann cogite autour d’astuces techniques: dans le logement des Brönnimann, le sol est équipé de capteurs qui réagissent au mouvement. Si Madame Brönnimann tombe et qu’elle ne parvient plus à se relever, cela déclenche une alarme par téléphone chez un proche ou au service d’aide et de soins à domicile.
La penderie, dans la chambre à coucher, possède elle aussi quelques fonctions très pointues. Chaque étiquette de vêtement est équipée d’une puce. Le système sait donc où chaque pièce de vêtement est rangée dans l’armoire. Il est également muni de données météorologiques et peut proposer à Monsieur Brönnimann des habits adaptés aux conditions météo du jour. Lorsque la corbeille à linge est pleine, un message est automatiquement envoyé au service de buanderie.
Il arrive que Madame Brönnimann se procure ses médicaments dans différentes pharmacies. Dès lors, les pharmaciens n’ont pas la vue d’ensemble sur son traitement et ne peuvent pas éviter les interactions indésirables. Pour pallier ce problème, les étudiant-e-s en informatique médicale cherchent des solutions qui donnent au patient, mais aussi aux pharmaciens et aux médecins, le récapitulatif de la médication d’une personne, tout en garantissant la protection de ses données.
Pour que Madame Brönnimann ait toujours sur elle la liste complète de ses médicaments et sache lequel elle doit prendre, à quel moment et dans quel dosage, des étudiant-e-s ont développé l’outil «eMMA», un assistant électronique à la gestion de la médication. Cette application pour smartphone peut aller chercher la liste des médicaments dans le eMediplan et pourra aussi le faire dans le futur dossier électronique du patient. Le plus que propose eMMA, c’est sa capacité à chatter avec Madame Brönnimann et à lui demander par exemple si elle a pris son traitement. Et si Madame Brönnimann a des questions à ce sujet, elle peut communiquer avec l’application au moyen de la fonction chat. «Les seniors connaissent les SMS et WhatsApp et se familiarisent donc très vite avec eMMA», se réjouit Michael Lehmann.
Mettre les réalités en lumière

Le Prof. Lehmann est enthousiasmé par l’élan qui anime ses étudiant-e-s et se rappelle ses expériences de médecin. «Quand j’ai débuté dans les hôpitaux, on remplissait encore les dossiers des patients à la machine à écrire. Cela prenait beaucoup de temps de faire ces rapports au moment du changement d’équipe le week-end». Michael Lehmann a donc rapidement développé, dans son temps libre, un outil qui lui simplifiait la tâche. «Le vendredi soir, je partais à chaque fois une heure avant les autres médecins!»
Aujourd’hui, il est heureux de travailler comme enseignant d’informatique médicale à la Haute école spécialisée bernoise. C’est avec l’équipe de cette division, réunie autour de son responsable Jürgen Holm, qu’il développe le Living Lab. Actuellement, on construit la salle de bains et la cuisine des Brönnimann. «A l’évidence, le laboratoire ne peut pas reproduire toutes les situations. Mais il aide nos étudiant-e-s à se familiariser avec le monde de la santé.» Les étudiant-e-s proviennent de domaines très divers. C’est pourquoi il est important que chacun se retrouve un jour dans une salle d’opération à vouloir par exemple changer le cliché radiographique, mais en être empêché parce qu’il a, à ce moment-là, les mains pleines de sang. En pareil cas, la solution peut passer par des pédales de commande ou par des senseurs qui transmettent les mouvements des mains effectués en l’air pour piloter l’ordinateur. «Il est essentiel que nos étudiant-e-s puissent tester leurs idées dans la pratique. C’est la seule manière pour nous de développer des produits qui apportent réellement un soutien aux acteurs de la branche», souligne le Prof. Lehmann.
Bienvenue!

L’équipe d’informatique médicale de la BFH collabore avec de nombreux partenaires de l’industrie et de la pratique afin d’identifier les besoins actuels et futurs du secteur sanitaire. Chaque année, Michael Lehmann emmène ses étudiant-e-s au salon DMEA – Connecting digital Health (anciennement «conhIT»), la manifestation la plus importante d’Europe pour la branche informatique et santé. Il s’agit d’un domaine à fort potentiel: rien qu’en Suisse, il manque à l’heure actuelle entre 500 et 2000 spécialistes de ce secteur. «Notre défi majeur consiste à attirer des jeunes de toute la Suisse vers cette filière. Lorsqu’ils sont en âge scolaire, ils ont souvent de la peine à se représenter ce qu’est l’informatique médicale.» C’est pourquoi Michael Lehmann encourage toutes les personnes intéressées à venir voir le Living Lab. «Lorsque des gens viennent le visiter et s’amusent tout à coup à sonner à la porte des Brönnimann, je sais qu’ils ont plongé dans notre univers et compris de quoi il retourne.»
Avec leur Living Lab, Jürgen Holm et Michael Lehmann ont réussi non seulement à reproduire les processus du secteur de la santé, mais également à susciter la sympathie. C’est ce que prouvent les nombreuses cartes postales que les Brönnimann ont aimantées sur la porte de leur frigo. Des messages du monde entier envoyés à Elisabeth et Kurt par les étudiant-e-s en informatique médicale.